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Sandrine Ben David
19 juin 2008

Peter Brook

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LE THEATRE DE PETER BROOK
par Sandrine Ben David

Né britannique, vivant et travaillant aujourd'hui à Paris, le metteur en scène Peter Brook a fait de toute la planète son terrain d'investigation et sa source d'inspiration. Sa trajectoire artistique ressemble vue du ciel à une suite de bons désordonnés d'un continent et d'une culture à l'autre. Il a scruté l'Occident, ses démons et ses névroses (Un amour de Swann, 1983 ; Hamlet, 2002), il a questionné les grands mythes de l'Orient (La mort de Krishna et Le Mahabharat, 1989), il écoute aujourd'hui l'Afrique, sa cruauté et ses superstitions d'enfant.

Avec sa troupe d'acteurs originaires du monde entier  (Yoshi Oida le japonais, François Marthouret et Maurice Benichou les français, Bruce Meyer l'anglais, et bien d'autres), Peter Brook dépose l'ailleurs et l'autre sur l'espace nu du théâtre Il mêle les couleurs de la peau, les accents de la voix et les morphologies du corps pour servie sa quête de la vérité humaine. Sa dernière mise en scène, la pièce Sizwe Banzi est mort, est passée en avant-première à Jérusalem dans le cadre du Festival Israël et d'Une Saison Française en Israël Cette pièce issue du théâtre de rue sud-africain a été créée par Athol Fugard, Jhon Kani et Winston Ntshona. Elle traite, à travers le thème local de l'oppression de la population noire africaine, de la question universelle de l'identité. C'est la seconde création d'une série de trois « statement plays » (« pièces d'affirmation »), écrites par Fugard en collaboration avec les deux célèbres acteurs du théâtre des Townships (bidonvilles africains) John Kani et Winston Ntshona. L'idée originale de ce travail est née de la rencontre entre les deux artistes Kani et Ntshona et la photographie d'un homme noir sud-africain offrant un large sourire à la caméra. Après une longue observation du cliché, les acteurs sont arrivés à la conclusion commune que l'homme de la photographie n'aurait jamais pu sourire ainsi si ses papiers d'identité et sa carte de séjour n'avaient pas été parfaitement en règle.

Sizwe Banzi est mort est constitué d'une série de monologues consécutifs, fruits de leurs réflexions approfondies autour de cette photographie. La pièce s'ouvre sur le personnage de Styles, interprété par l'acteur malien Habib Dembélé. Ce personnage truculent au ton hâbleur et moqueur est un ancien ouvrier de l'usine Ford de New Brighton, en Afrique du Sud. Il raconte le travail à la chaîne, sa soumission ancienne à un contremaître blanc opulent et autoritaire. Mimiques, bruitages et gestuelle dansée l'aident à exorciser la douleur de son passé dans un grand éclat de rire. Mais le ton de la dérision disparaît subitement pour laisser place à la colère et à la frustration de la constatation : «  Ta vie ne t'appartient plus Styles ! Tu l'as vendue. »

Le personnage exhausse à l'issue de ce débat avec lui-même son souhait d'indépendance professionnelle en devenant propriétaire d'une boutique de photographie à l'intérieur de laquelle il veut permettre à ses clients de devenir, pendant le court instant de la pose devant l'objectif, les hommes qu'ils rêveraient d'être si la réalité le leur permettait. C'est à ce stade qu'apparaît son interlocuteur, le personnage de Robert (l'acteur originaire de la République Démocratique Congolaise Pitcho Womba Konga), un frère de misère qui a récemment quitté la campagne, sa femme et ses quatre enfants pour venir tenter sa chance dans la cité. Robert veut être photographié pour ses papiers et sa carte de séjour. Le dialogue qui s'installe entre les deux personnages va révéler progressivement le drame identitaire abominable dans lequel Robert s'est volontairement plongé parce que ne possédant aucun document en règle lors de son départ pour la ville. Mis au pied du mur par la nécessité urgente d'un emploi et hors la loi d'emblée sans passe ni numéro d'identification personnels, Robert a usurpé ceux d'un homme mort, d'un cadavre abandonné dans un buisson qu'il a rencontré au hasard de sa route. Il s'appelle désormais Sizwe Banzi, et sa nouvelle identité, celle-là même qui représente l'opportunité sociale et professionnelle tant désirée, lui interdit à jamais de revenir en arrière, vers son village, sa famille et ses origines passées.

Dans sa mise en scène, Peter Brook a avancé le plateau pour jouer sur la profondeur du champ et donner à imaginer aisément la ville, grouillante dans la chaleur et la pauvreté, derrière les deux acteurs. Le décor y est dépouillé : quatre projecteurs, trois cartons kraft rafistolés avec du gros scotch, quelques costumes sur deux portemanteaux, pour laisser toute l'attention du spectateur sur les personnages, sur l'humain, sur la vie elle-même

La pièce Sizwe Banzi est mort a donné sa première parisienne le 12 décembre 2006, après une tournée mondiale qui l'a transportée d'Istanbul à Beyrouth en passant par la plupart des pays européens.

Le monde selon Brook

(Extraits de la conférence de presse donnée par le metteur en scène le 6 juin 2006 à Jérusalem)

« On doit comprendre une chose. nous ne possédons que nous-mêmes Ce monde avec ses lois ne nous donne rien d'autre que nous-mêmes Nous ne laissons rien derrière nous quand nous mourrons ; rien que la mémoire de nous. »

« Qu'est-ce qui se passe dans ce foutu monde? Qui veut de moi, mon ami? Je suis un homme, j'ai des yeux pour voir, des oreilles pour entendre les gens quand ils parlent, j'ai une tête pour penser des choses bien, qu'est-ce qui cloche avec moi? Regardez-moi ! Je suis un homme ! J'ai deux jambes, je peux courir avec une brouette pleine de ciment ! Je suis fort ! Je suis un homme ! »

« Il ne suffit plus à l'homme aujourd'hui d'être en vie, il lui faut prouver qu'il existe à travers un document ... Que l'on porte le regard vers l'Inde ou vers l'Afrique, la quasi-totalité de la population terrestre doit pour survivre être en possession de documents qui certifient son identité civile officielle. Peu importe la personne elle-même Ce qui est intolérable dans ces conditions, c'est que la relation essentielle de respect mutuel entre les êtres originaires de cultures différentes est niée d'avance. Cela nous concerne tous. Que l'on soit noir africain victime de l'apartheid, israélien victime du terrorisme ou prisonnier politique en Turquie. »

« Les autorités politiques et civiles, ou qu'elles se trouvent, détruisent l'identité culturelle, les figures ancestrales collectives ou intimes, le monde des esprits et de l'invisible, tout ce qui fait l'essence de l'individu. Le propos essentiel de mon théâtre est celui de mettre du sens dans l'individu. Plus j'avance dans l'expérience théâtrale, plus elle s'épure de tout artifice. Ce qui importe, c'est l'expérience du partage mutuel, entre les acteurs et les spectateurs. Le théâtre ne peut ni ne doit influencer par lui-même les circonstances politiques dans lesquelles il se crée. Il n'est là que pour éveiller une expérience individuelle et l'élever vers une expérience collective. »

 

Jerusalem Post édition française,
13 juin 2006

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Sandrine Ben David
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