Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Sandrine Ben David
28 août 2008

Jacques Audiard

69216322_ph8

RENCONTRE AVEC AUDIARD
par Sandrine Ben David

De Battre mon Coeur s'est Arrêté, le film aux huit Césars sur dix nominations (Meilleur acteur second rôle, Meilleur espoir féminin, Meilleur réalisateur, Meilleur film, Meilleure adaptation, Meilleure musique, Meilleur photographie et Meilleur montage) de la 31ème édition 2006 des célèbres prix du cinéma français, a définitivement sacré le cinéaste Jacques Audiard, déjà neuf fois nominé aux Césars 2002 pour le magnifique Sur mes Lèvres, comme le plus grand réalisateur français de la décennie. En avant-première de la sortie de De Battre... dans les salles de cinéma israéliennes, le 27 avril 2006, le cinéaste était en visite à Tel-Aviv. Il a, à cette occasion, accepté de confier aux lecteurs du Jérusalem Post le parcoursde cette adaptation très réussie de Mélodie pour un Tueur, un film noir réalisé en 1978 par James Toback, avec le tout jeune Harvey Keitel dans le rôle principal.

- Vous avez expliqué au public, lors de la projection en avant-première de De Battre mon Coeur s'est Arrêté, que ce film est le résultat d'une certaine époque cinématographique dont vous vous considérez comme le fruit...

- Je veux parler des années soixante-dix quatre-vingt, qui sont mes années de « formation cinéphilique »: le cinéma indépendant américain, mais aussi le cinéma allemand qui apparaît à l'époque. Des gens comme Herzog, Wenders, Fassbinder, Syberberg, qui sont très importants. Le cinéma italien aussi... En l'occurence, c'est le cinéma américain qui nous intéresse ici. C'était un cinéma qui regardait la vie de manière très frontale, avec un usage encore innocent de la caméra, qui considérait que la réalité est intéressante en soi et tentait simplement de la capter. Une bonne partie de l'image que je me suis faite, à l'époque, des États-Unis, c'est leur cinéma qui me l'a communiquée, et c'était une image vraiment conforme à la réalité. On pouvait aller à New-York après avoir vu les films de Scorsese, on était informé. Ce qui est très particulier dans le cinéma de Toback, de Scorsese, d'Altman, de Cassavetes, c'est que ces gens-là avaient vu tous les films de la Nouvelle Vague et l'avait intégrée dans leur art. Et aussi, nombre de très grands acteurs contemporains comme Keitel, De Niro, Nicholson, sont nés à cette époque-là du cinéma américain.

- Qu'est-ce qui vous a séduit plus particulièrement dans le film de James Toback, Mélodie pour un Tueur, dont De Battre... est l'adaptation?

- Je crois que quand on voit Fingers (titre anglais original), ce que l'on retient surtout, c'est la performance de Harvey Keitel qui fait un numéro invraisemblable. Mais moi, ce qui m'avait frappé surtout, c'est le sujet et les thèmes traités: le mauvais garçon, tout à coup pris par un élan artistique, et puis la filiation, le père, la mère, le changement de vie... La problématique de l'adaptation se situait dans le fait que le film de Toback est un vrai film de genre et aussi dans le fait que le personnage de Keitel est à la limite de la psychose. Ce film a beaucoup de hargne. C'est un truc dont on ne sait pas trop comment il « tient en l'air » et dont on se demande comment les protagonistes ne sont pas tous morts à la sortie. Comme beaucoup de films américains de cette époque, il est très engageant et très engagé, et possède une énergie très particulière.

- De Battre... est-il une adaptation fidèle?

- À la lettre, non. au fond, oui. certaines choses, comme par exemple les voyous italo-américains et la mafia, n'était simplement pas adaptables. De même en ce qui concerne le comportement excessif quasi psychotique du personnage principal. La fin de Mélodie pour un Tueur, qui est une fin tragique par défaut, ne m'intéressait pas du tout. Il y a dans le fond même du film de Toback quelque chose de l'ordre du roman de formation. J'avais besoin de plus de réalisme. J'avais besoin d'ancrer ça, de créer une identification plus forte, de rendre les choses plus vraies donc plus morales et de mieux définir mon personnage. En revanche, je pense sur le fond être très fidèle à James Toback. On s'est peut-être plus préoccupés du scénario que lui-même à l'époque.

- Cela a-t-il été une évidence pour vous de recommencer à travailler avec Tonino Benacquista, scénariste avec qui vous avez coécrit Sur mes Lèvres?

- Au contraire, ça a failli ne pas aboutir parce qu'il détestait Fingers. Mais ce qui est extraordinaire avec Tonino, c'est qu'il garde toujours cette position ingénue qui semble au départ ignorer totalement ce que va fabriquer le travail de l'écriture et de l'adaptation. Et il est toujours très étonné et très heureux à l'arrivée. En l'occurence, le début a été très difficile. Il détestait vraiment le film et on a effectué cette adaptation en essayant de se convaincre l'un l'autre. Cela rejoint l'idée selon laquelle le coscénariste est le premier public du film. Moi, j'étais le premier public de Tonino, et Tonino était le mien. Je crois qu'une collaboration entre deux scénaristes ne peut pas se terminer sur un seul film. On se rencontre sur un espace défini dans le temps, avec un objectif bien précis, et dans cet espace se crée une intimité particulière qui se développe sur trois ou quatre films. Et après, on se sépare, un peu comme un couple. Il y a un livre absoluement remarquable de Samson Raphaelson qui s'appelle Freundschaft. Raphaelson a été l'un des coscénaristes, selon la constante dont je parle ici, de Lubitsch. Le livre fait trente-cinq pages. Lisez ça, c'est extraordinaire.

- Certains critiques ont parlé de De Battre... comme d'un film misogyne.

- Je n'ai pas beaucoup d'arguments à opposer à cela. Ce serait facile. Je dirais simplement que c'est l'histoire d'un type qui est misogyne et misanthrope à la base, et qui va devenir progressivement un peu moins misanthrope misogyne. C'est le propre des petites sociétés masculines constituées d'être comme ça, un peu « les couilles entre elles ». J'étais pensionnaire toute mon enfance et je suis vacciné à mort contre ça. En même temps, leur photogénie m'intéresse. Pour moi, le personnage de Tom est issu de ces sociétés masculines dont les vertus sont évidentes. C'est chaud, c'est fraternel, presque familial. Mais ce sont des cons finis aux comportements exécrables. Il me semble que ce qui se passe pour Tom avec sa répétitrice, Miao-Lin (Linh Dan-Pahm), est une sorte d'éducation sentimantale qui va littéralement transformer le personnage.

- On a dit aussi beaucoup que De Battre... est un film qui repose sur son acteur. Est-ce un choix?

- Je crois qu'il faut être modeste sur cette question. Tout d'abord, le sujet, pour une grande part, désignait Romain Duris. Ensuite, Romain est quelqu'un que je vois évoluer dans le paysage cinématographique français depuis un certain temps et il se trouve au moment de sa vie et de sa carrière où il incarne exactement ce passage de l'adolescence à l'age adulte. Entre les rôles qu'il a joué dans le passé et même encore dernièrement dans les Poupées Russes, et les rôles qu'il va être amené à jouer après ce film, il y a un processus de métamorphose dont De Battre... est un peu l'enclave. Romain est un type qui a une tête bien faite et j'aime sa conception du métier d'acteur. Dans le travail, c'est quelqu'un qui est très plastique et avec qui on peut vraiment faire beaucoup de choses. Plus concentré que ce garçon, je n'ai jamais vu sur terre. Il est vraiment impressionnant. Et sa concentration est au service d'une « infatigabilité » complète et déconcertante. Et aussi, Romain possède une photogénie et une sensualité que je trouve magnifiques. Il a cette caractéristique, assez rare chez les acteurs mâles latins, de n'avoir aucun problème avec sa féminité qu'il intègre parfaitement à son jeu. Ce qui donne, d'une part, une virilité très incarnée de type « Pitbull », et en même temps, c'est une fille. Je trouve ça remarquable.

- C'est aussi un film sur la musique...

- Ce qui est intéressant dans la proposition de l'audition qui est faite à Tom, c'est que s'il s'arrête une seconde et qu'il rfléchit, il sait très bien qu'il n'a strictement aucune chance. Aucune...Donc, c'est quelqu'un qui va se mettre en position d'être sur une pente et de ne pas réfléchir. Et ça, c'est le propre du héros tragique qui sait pertinemment qu'il court à l'échec, mais pour qui le cheminement est plus important que l'objectif. Tom est quelqu'un qui prend ce véhicule de la musique et qui va s'en servir pour hanger de vie. Pour moi, la grande victoire de Tom, c'est, contre toute attente, de devenir un homme qui va vivre au service d'une femme qu'il aime et qu'il admire. C'est un 180 degré phénoménal.

- Est-ce qu'il y a un moment donné, dans le travail du film, qui vous serait plus cher que les autres?

- Je crois que les chocs que l'on peut avoir sur un tournage, c'est d'avoir prévu quelque chose et qu'une autre chose se passe. Et, en fait, ce qui se produit sous vos yeux, c'est la vérité. Il y aurait peut-être deux moments, de mémoire: la scène du tout début avec Gilles Cohen. Elle est partiellement écrite et n'appartient pas au corps du scénario. On a décidé de la faire comme ça, parce qu'on avait les acteurs et le décor, et quand j'ai fait partir dans le jeu Gilles et Romain, j'ai tout de suite su qu'il n'y aurait pas plus de deux prises. Ça « tenait en l'air ». Et puis aussi peut-être la scène entre Tom et son père, quand il le déshabille pour le mettre au lit, où il y a une gêne et une pudeur qui marchent. Et aussi un plan que j'aime bien d'Aline (Aure Atika), dans l'encadrement de la porte, où je la filme en faisant une mano negra sur elle, un procédé que j'ai mis au point...

- Le tournage en plans rapprochés était une volonté dès le départ?

- Bien sûr, je savais que le personnage de Tom dominerait toutes les séquences, c'est moi qui ai écrit le scénario. Mais je n'ai pas réalisé tout de suite que ça impliquait un point de vue. Et je me suis aperçu que c'est uniquement dans cette proximité là, sur le visage, le corps de Romain et des autres, que l'on peut créer du point de vue. C'est quelque chose que le film m'a imposé.

- Vous travaillez sur un nouveau film?

- J'essaie, mais c'est laborieux. C'est un scénario dont j'ai suivi l'écriture ces deux dernières années et que je réécris actuellement. Ça parle d'un petit « rebeu » qui est en taule, c'est l'histoire de son éducation. C'est vraiment nouveau pour moi, je ne suis pas encore très assuré et j'espère que je vais arriver au bout...

- C'est votre première visite en Israël?

- Malheureusement, oui et malheureusement, c'est trop court. Je voulais venir à l'origine avec mon épouse, qui est juive, et nous souhaitons tous les deux vivement revenie en Israël.

Que les organisateurs de nos grands festivals se le tiennent pour dit. De Battre mon Coeur s'est arrêté est sorti en Israël sous le titre Libi Ehsir Peima, le 27 avril 2006. Jacques Audiard a donné la même année la Leçon de Musique du Festival de Cannes, avec son compositeur Alexandre Desplat, César de la Meilleure musique pour De Battre...

Jerusalem Post édition française,
24 avril 2006.

debattre

Publicité
Publicité
Commentaires
Sandrine Ben David
Publicité
Newsletter
Publicité