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Sandrine Ben David
13 octobre 2008

Le Blues de l'Orient

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ENTRE L'ORIENT ET L'OCCIDENT
par Sandrine Ben David

Abed Azrié, chanteur, musicien et musicologue de l'Islam, né à Alep mais résident et travaillant en France aujourd'hui, ouvre le film sur ces mots : « Dans les temps les plus anciens, il n'y avait qu'un seul élémént, qu'un seul corps. Ce corps a été coupé en deux moitiés : l'Orient et l'Occident. Depuis ce moment, les deux moitiés du corps pleurent et se languissent l'une de l'autre. Et moi, peut-etre que dans toute ma vie j'essaie seulement de retrouver ces deux partiess charnelles et de les ressouder ensemble, pour qu'il n'y ait plus de distance et que ce corps ancien soit réunifié ». L'artiste exprime ainsi le projet ardu auquel la réalisatrice Florence Strauss s'est attelée dans son documentaire, motivée à la fois par le mixage de ses origines personnelles et par un profond désir d'apaisement et de fraternité entre les hommes.

Florence Strauss est née et a grandi en France. Elle est d'origine juive égyptienne et son grand-père maternel n'était autre que Robert Hakim, l'un des plus grands producteurs cinématographiques de la première moitié du Xxème siècle ( Pépé le Moko, La Bête Humaine, Casque d'Or, L'Aventura, Belle de Jour,...), ce qui explique sans doute le choix professionnel de Florence, malgré des études initiales d'architecture. « Between two notes », de son titre français « Le Blues de l'Orient », est son tout premier film documentaire, parlant les trois langues, anglaise, hébraïque et française de manière parfaitement équilibrée et produisant, pour le plaisir assuré de l'oreille amatrice un éventail extraordinaire de musiques fraternelles que seules les frontières du temps et de l'espace distinguent : du Tarb de Abdelwahab et Oum Khaltoum, illustré et commenté par la chanteuse israélo-égyptienne Iman, le musicien irakien Salim Al Nur et le photographe égyptien Ayman Khoury, à la musique lithurgique juive égyptienne de Moshé Havusha, en passant par les luths jumeaux de Taissir Elias et Yaïr Dallal, la trompette « arabe » du syrien Nassim Maalouf à laquelle il a ajouté le « piston du quart de ton », les chants coptes, amhariques et syriaques millénaires et jusqu'à la Hadra , cérémonial musulman de balancement du corps qui rappelle curieusement celui dont les juifs orthodoxes accompagnent leurs prières et dont le but est d'atteindre, en épousant étroitement le rythme du chant lithurgique, la rencontre avec le divin et l'état de connaissance ultime (equivalent du Nirvana hindou et appelé Ma'aréfa en arabe).

Jérusalem, Jaffa, Kafarakab, Le Caire, Alep, Tel-Aviv, Beyrouth et tous les autes lieux dans lesquels ce road-movie transporte le spectateur ont en partage, au-delà des conflits qui les déchirent, l'héritage inestimable de la musique. La cinéaste Florence Strauss remonte aux sources de cet art immémorial tout en partant sur les traces de son histoire persdonnelle en partie ignorée et occultée. Du vide et de l'absence naît la voix d'une émouvante catharsis. La route et la quête se transforment au gré des rencontres qui les ponctuent : des musiciens surtout, qui sont aussi des poètes et des visionnaires de cette histoire de l'Orient qu'ils ont transportée et véhiculée dans les sonorité de de leurs voix, les mélodies de leurs chants et les rythmes de leurs mains sur l'instrument.

Ode au métissage et à l'ouverture à l'autre, le film célèbre la sensualité et la générosité d'une terre jadis associée au Jardin d'Eden. Avant tout musique du coeur, « Le Blues de l'Orient » exprime en mille et une nuances toute notre humanité dans sa complexité historique.

Au comencement, bien sûr, était la Bible. on recense plusieurs dizianes de références au chant et aux instrument musicaux dans le Pentateuque. Au chapitre 4 de la Genèse, la paternité de l'art est attribuée à « Jubal, l'ancêtre de tous ceux qui jouent le Kinnor et l'Ugav ». Le Kinnor (le violon), c'est l'instrument du roi David, créateur des psaumes. Depuis, c'est par le chant et la musique autant que par le Livre que les peuples des trois grandes civilisations ont conservé leur intégrité à travaers l'histoire. Le peuple hébreu était esclave en Egypte, il y a environ trois mille ans. La musique pharaonique ancestrale s'est amalgamée à la culture de ce peuple longtemps nomade, riche aujourd'hui enfin d'une terre où se mixent plus de soixante-dix nationalités. Taissir Elias, dans l'une des nombreuses interview qui s'intercalent avec les morceaux de musique dans le film, définit Israël comme un « laboratoire ethnomusicologique unique ». Commune à plusieurs dizaines de cultures variées et parfois fort différentes, la musique du Proche-Orient est marquée d'un sceau unificateur qui trouve ses origines dans la convergence des vieilles civilisations de l'Orient mésopotamien, égyptien, assyro-babylonien, indo-iranien et byzantin, synthèse dont elle est l'héritière vivante.

À l'instar des artistes qu'elle interpelle, Florence voit en cet art à la fois singulier et pluriel le dénominateur commun aux peuples, à leurs cultures et à leurs religions, du Golfe Persique à l'Atlantique, de l'Océan Indien au Caucase et à l'Asie Centrale. Elle explique comment il recèle en lui le divin qui séduit l'esprit élaboré vers la mystique, et l'espoir du Paradis qui console les simples et les pauvres, comment sa lenteur et son apparente monotonie convergent vers l'extase, le lieu où le fond du corps et le fond de l'âme sont simultanément et profondément émus, où il n'y a plus de différence entre le profane et le sacré. Elle tente de démontrer que cette musique qui émane des entrailles de la civilisation et du coeur de l'homme est un outil possible de paix entre les êtres, à travers les exemples humains qu'elle expose et elle signe son étude par un poème anonyme de l'Andalousie judéo-arabe libérale du XIIIème siècle, intitulé « Croyance » :

Mon coeur accepte désormais toute forme

Il est jardin pour l'amour d'une femme

Et cloître de moine chrétien

Temple d'idole Kaaba du pèlerin

Table de Torah et feuille de Coran

Je professe la religion de l'Amour

Partout où vont ces caravanes

Car l'Amour est ma religion et ma foi

Ce chant, vieux de plusieurs siècles, demeure un exemple à méditer pour tous ceux qui ne voient en la langue, la musique et les instruments de leurs contemporains que les symboles dangereux de l'ennemi.

« Between Two Notes » (« Le Blues de l'Orient »), un film documentaire franco-canadien, réalisé par Florence Strauss et produit par Serge Lalou en 2006. 

 

Jerusalem Post édition française,
23 janvier 2007.

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Sandrine Ben David
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