Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Sandrine Ben David
4 décembre 2009

« Quand les Juifs sont menacés, c’est la liberté qui est en danger »

Roger Cukierman, prédécesseur de Richard Prasquier à la présidence du CRIF, de 2001 à 2007, ancien patron du groupe Edmond de Rothschild et auteur de « Ni fiers, ni dominateurs » (éditions du Moment), est en visite en Israël pour plusieurs rencontres littéraires avec le public, entre autres à la Médiathèque de Jérusalem et à l’Institut français de Tel Aviv.

Cukiermangg


Dans l’ouvrage remarquable que l’auteur vient présenter au public francophone israélien, Roger Cukierman se penche sur son passé et livre ses souvenirs au lecteur. Par delà ses « années CRIF », dans un texte alerte et agréablement écrit, il se livre à une réflexion précieuse sur les grands problèmes de notre temps. On découvre, au fil des pages, combien la présidence de la grande institution nationale qu’est devenue le CRIF au fil des ans, peut ouvrir de portes, en France comme à l’étranger et, partant, l’importance qu’accordent tous les leaders politiques à l’avis de la communauté juive, de ceux que Roger Cukierman aime appeler les « Français juifs ». Son livre est un témoignage extraordinaire sur six années essentielles de la vie de notre pays, de la communauté juive et d’Israël, dont on ne peut que recommander la lecture. Le Jérusalem Post Edition Française a rencontré cet exceptionnel leader communautaire.

Que retenez-vous de votre mandat à la tête de la première institution juive de France ?

Lorsque je suis arrivé à la tête du Conseil Représentatif des Institutions juives de France, j’ai découvert une situation alarmante. Une vague d’antisémitisme avant débuté en France an même temps que la deuxième Intifada, et s’était traduite par vingt synagogues brûlées, des écoles juives attaquées aux cocktails Molotov, des car de ramassage scolaire caillassés, des rabbins, des enfants juifs agressés… Lorsque j’ai évoqué ces incidents et exprimé mon inquiétude au président de l’Etat, Jacques Chirac, et à son premier ministre de l’époque, Lionel Jospin, j’ai eu la surprise désagréable de voir qu’ils considéraient qu’il s’agissait de violences banales, qui n’avaient rien, selon eux, de spécifiquement antisémite. Il a fallu beaucoup d’efforts et pas mal de temps pour que les uns et les autres prennent conscience de la gravité des évènements, pour la communauté juive et pour toute la société française. Nous avons du mobiliser les médias, en appeler à tous les syndicats, aux différentes religions, et nous avons finalement organisé une très grande manifestation contre l’antisémitisme et de soutien à Israël, qui a eu lieu le 7 avril 2002, et a mobilisé 200 000 personnes, ce qui équivaut à quasiment la moitié de la population juive de France. A partir du mois de mai 2002, l’ « establishment » français a effectué une prise de conscience de la gravité de la situation. Avec un nouveau gouvernement et Nicolas Sarkozy au ministère de l’intérieur, Jacques Chirac, Jacques Chirac, Jean-Pierre Raffarin et tous les partis politiques de l’époque ont reconnu que cette vague d’antisémitisme était importante et représentait un danger pour l’unité nationale.

Quels étaient vos rapports avec le président Jacques Chirac et quels souvenirs gardez-vous de cet homme ?

Jacques Chirac est un personnage très chaleureux, qui a fait preuve de bonne intelligence avec la communauté juive de France, et même d’amitiés tout à fait personnelles avec des leaders juifs comme le grand rabbin Joseph Sitruk et le rabbin Lubavitch Pezner. Il a été, lorsqu’il était maire de Paris, d’un grand secours pour toutes les demandes des écoles juives et des institutions de la capitale. Enfin, concernant la mémoire du peuple juif et la Shoah, Jacques Chirac a été un président tout à fait exemplaire, puisqu’il a été le premier président de la République à reconnaître, le 16 juillet 1995 la responsabilité de la France dans Vichy. En revanche, vis-à-vis d’Israël, Jacques Chirac s’est toujours montré très froid, très réticent, et ses relations avec le gouvernement de l’Etat d’Israël étaient difficiles. Nos relations ont été assez tumultueuses et le livre débute d’ailleurs sur une  mémorable engueulade que j’ai subie de lui. Mais je crois que c’est lorsqu’on affronte les hommes politiques qu’on en est le mieux respecté.

Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ce livre ?

J’ai vécu des évènements qui me paraissent importants, j’ai rencontré toute la France politique, de droite et de gauche. J’avais envie de relater les réactions de tous ces milieux aux évènements que la communauté juive a vécus. Mais ce mandat a aussi été l’aboutissement d’une vie, puisque je suis issu d’une famille qui a été décimée par la Shoah, que j’ai vécu moi-même, lorsque j’ai été « enfant caché » en France. Ce livre n’est pas seulement un livre pour les juifs, il est destiné à tous les lecteurs. Je crois qu’il est important que les français comprennent ce qu’a dit un Jacques Chirac. « Quand on attaque les juifs, on attaque les valeurs de la France. ». Je crois qu’il est important que ce qui nous est arrivé soit connu de l’opinion publique, qui doit aujourd’hui combattre plusieurs formes d’antisémitisme. D’abord, l’antisémitisme de l’extrême droite, phénomène ancien, mais non négligeable. Ensuite, l’antisémitisme des jeunes issus de l’immigration, qui commettent des agressions en guise de soutien aux Palestiniens, mais aussi et surtout parce qu’ils cherchent des boucs émissaires à leur insuffisante intégration dans la société française. Enfin, phénomène tout à fait nouveau et alarmant, on constate aujourd’hui certaines coalitions de l’extrême gauche trotskiste antisioniste avec les mouvements antisémites islamistes. Cette gauche trotskiste fournit en effet aujourd’hui des « arguments » à ceux qui cherchent de bonnes raisons pour taper sur les juifs, et malheureusement elle est très influente dans les milieux des médias, de l’éducation et de la magistrature.

Aujourd’hui, face à la situation en Israël, pendant et après l’opération « Plomb Durci » contre le Hamas, et au regard du nombre hélas grandissant des agressions antisémites en France, avez-vous une impression de « déjà-vu » ?

Absolument. Les choses se présentent exactement de la même manière. Il y a eu un conflit au Moyen Orient, et ce conflit est importé en France par des jeunes issus de l’immigration, qui commettent des actes contre les juifs, contre les synagogues, faisant un amalgame entre juifs et israéliens. Nous en sommes, à l’heure de cette interview, à 88 agressions antisémites en 24 jours. A ce rythme là, on va dépasser largement les records des années 2000, où le maximum avait été atteint avec 1000 actes en 2004. Nous sommes dans une situation au moins aussi grave qu’à l’époque, avec peut-être la différence importante qu’aujourd’hui, l’ « establishment » français est pleinement conscient que ce qui se passe est inadmissible. En tout cas, cet état de fait démontre que les racines du mal demeurent.

Cukkkgg

Est-ce que vous avez peur pour Israël, est-ce que vous avez peur pour les juifs de France ?

Je crois que la grande leçon que l’Etat d’Israël a donnée aux juifs, c’est qu’il ne faut pas avoir peur. Je me souviens de la réaction de ma mère, qui a perdu tout les siens à Treblinka. Après la guerre, elle se cachait. Quand elle allait chez le teinturier, elle se faisait appeler son le nom de Max, qui était en réalité le prénom de mon père, parce qu’elle trouvait que Cukierman, ça faisait trop « juif ». Et lorsqu’elle marchait dans la rue, elle baissait la voix, parce qu’elle craignait qu’on remarque son accent juif. L’Etat d’Israël, et aussi les sépharades, nous ont apporté la fierté d’être juifs et nous ont montré l’exemple. Il faut faire face à l’adversité et ne pas avoir peur. Je considère que la victoire d’Israël sur le Hamas, d’une part, et l’arrivée de Barack Obama à la présidence des Etats-Unis, d’autre part, sont deux évènements de nature à créer un climat propice à de réelles négociations entre Israël et les palestiniens, et à une évolution positive au Moyen-Orient. Contrairement aux gens qui disent qu’entre l’optimiste et le pessimiste, la différence c’est que le pessimiste est mieux informé, moi, je veux être optimiste. Je regrette simplement que les juifs de France, à la différence de ceux de Grande Bretagne, entre autres, n’investissent pas assez de moyens dans leur communauté. Ils doivent se mobiliser et donner les fonds nécessaires à leurs institutions pour les protéger. Soyez généreux avec les défenseurs de votre cause !

« Ni fiers, ni dominateurs », de Roger Cukierman, Editions du Moment (Sept 2008). 276 pages. 19,95 euros.

Sandrine Bendavid (Jerusalem Post Edition Française, janvier 2009)

Publicité
Publicité
Commentaires
Sandrine Ben David
Publicité
Newsletter
Publicité