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Sandrine Ben David
5 décembre 2009

Paroles d’homme : Paul Auster

L'écrivain juif américain Paul Auster est en France, pour présenter la traduction française de son dernier roman, « Seul dans le noir », qui vient de paraître en janvier chez Actes Sud. Un court récit de 180 pages qui met en scène un vieil homme, August Brill, ancien critique littéraire, vit chez sa fille avec elle et sa petite-fille. Contraint à l’immobilité par un accident de voiture, il se souvient de sa femme morte et des films qu'il a aimés, dialogue avec sa fille, Miriam, qui tente d'écrire un livre, et avec sa petite fille Katya, tourmentée par le remords. Titus, son amoureux, avec qui elle avait rompu, s'était engagé dans une société privée travaillant à Bagdad. Il est mort dans des conditions atroces, dans un pays en guerre.

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Le vieil homme, prisonnier de ses regrets et de sa solitude, trouve refuge contre les souvenirs qui l’assaillent lors de ses fréquentes insomnies en se racontant l’histoire d’un monde parallèle où le 11 septembre n’aurait pas eu lieu et où l’Amérique ne serait pas en guerre contre l’Irak mais contre elle-même, en proie à la plus dévastatrice des guerres civiles, la ville de New York ayant fait sécession contre elle.

L’admiration :

La première fois que j’ai rencontré Samuel Beckett, c’était en 1972, j’avais 25 ans et la peintre Joan Mitchell m’avait donné un mot de recommandation. Je suis arrivé tout tremblant de peur à la Creuserie des Lilas pour le voir. Il m’a parlé de son premier roman en français « Mercier et Carnier », dont il débutait une traduction en anglais, et il m’a confié qu’il avait coupé une partie du texte dans la traduction, parce qu’il trouvait que ce n’était pas bon. J’avais lu ce livre en français et je lui ai dit : « Mais pourquoi ? J’ai beaucoup aimé chaque page de ce livre ». Nous avons parlé d’autres choses, et dix minutes plus tard, à propos de rien, il s’est penché vers moi et m’a dit : « Vous avez vraiment aimé le livre ? » (rires). Cela m’a appris une chose. Les écrivains ne savent rien de ce qu’ils font (rires), même les plus grands.

L’écrivain :

Heureusement, il n’y a pas de règles pour lui. On peut écrire un livre sur les guerres ou sur un histoire simple. Ce qui est important, c’est de dire la vérité sur la vie et de la faire d’une manière qui ne triche pas. J’écris avec un stylo et un crayon, sur des cahiers à petits carreaux. Pas toujours des Clairefontaine, mais toujours à petits carreaux (rires). Un cahier, c’est une maison pour les mots, on peut la fermer. J’écris un livre paragraphe par paragraphe et j’écris dans l’ordre du livre. Je commence par le premier mot, et je continue jusqu’au dernier mot. Travailler sur un paragraphe peut me prendre dix minutes comme dix jours. Dès que je pense que le paragraphe est fini, je le tape sur une ancienne machine à écrire mécanique. C’est une méthode.

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La construction :

« Seul dans le noir » est fait d’une seule pièce. Il est construit comme une composition de musique classique. Dès le début du roman, il y a des thèmes qui sont posés, que l’on reconnaît par la suite, qui reviennent tout au long du livre et se développent. C’est un peu comme une fugue. Tout est connecté dans ce livre.

Le héros :

J’ai toujours été intéressé par le livre, en tant qu’objet physique et spirituel. Quand on lit un roman, il y a toujours une voix qui nous parle. Je me demande toujours qui est cette voix. Est-ce que c’est l’auteur, le nom sur le livre ? Cet homme, dont le nom est écrit sur la couverture, au fond, est comme tout le monde. Il paie des impôts, il lave la vaisselle. Il n’a pas plus d’autorité qu’un autre. Je me suis demandé, avant d’écrire mon premier roman, ce qui allait se passer si je donnai mon nom au héros de mon livre. Et puis, ce héros s’est mis à dire exactement le contraire de ce que je pensais, moi…

Les fantômes :


La perte est l’un des plus grands problèmes que l’on peut avoir dans la vie. Et l’homme devient intéressant lorsqu’il est confronté à des problèmes. Je ne suis pas un écrivain de la vie sociale. Je n’écris pas mes livres comme des portraits de notre temps. Je suis beaucoup plus occupé par la vie intérieure des gens. Leurs regrets, leurs espoirs, et leur capacité de se réinventer après une tragédie. Brill a beaucoup de peines et de regrets auxquels ne veut pas se confronter, et en mêlant sa vie à une autre réalité, il se prend à son propre piège et n’arrive pas à sortir de son « autre monde ».

L’amitié :

Le romancier et essayiste israélien David Grossman est l’un de mes meilleurs amis. C’est un homme d’une intelligence et d’une sensibilité extraordinaires, peut-être l’homme le plus admirable que j’ai rencontré dans toute ma vie. En juillet 2006, son fils Uri, qui venait tout juste d’avoir  vingt ans, a été tué pendant la guerre du Liban. J’ai pensé que je devais écrire un livre pour David et pour Uri. Dans « Seul dans le noir », il y a d’abord un soldat qui meurt à la guerre. Tout le livre s’est formé autour de cette idée.

Le 11 septembre :

Je crois que cette tragédie a déclenché quelque chose. Nous sommes juste un peu après ces terribles attentats, mais il est encore trop tôt pour savoir où nous allons. L’histoire n’est pas encore finie. Je crois que les grands livres historiques sont écrits bien après les évènements. Je ne suis pas encore prêt à écrire sur le 11 septembre, même si j’étais là, à New York, au moment où ça s’est passé. Les américains sont un peuple très gâté, parce qu’un océan nous sépare des autres pays et que nous n’avons presque jamais été envahis. La seule fois, avant le 11 septembre, où l’Amérique a été attaqué par un autre pays, c’était en 1812, avec l’invasion des anglais. Les américains avaient cette idée qu’ils étaient invulnérables, avant la tragédie.

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Barack Obama :

Je l’ai découvert comme beaucoup d’Américains, le 27 juillet 2004, lors du discours extraordinaire qu’il a prononcé en tant que candidat pour être sénateur dans l’Illinois : «Il n’y a pas une Amérique libérale et une Amérique conservatrice, il n’y a que les Etats-Unis d’Amérique. Il n’y a pas une Amérique noire, une Amérique blanche, une Amérique latino et une Amérique asiatique, il n’y a que les Etats-Unis d’Amérique. ». Je suis très content que le président américain soit non seulement un écrivain, mais un bon écrivain. Comme tout le monde, j’ai acheté son autobiographie qu’il a écrite quand il avait 33 ans. Beaucoup d’hommes politiques se font écrire des livres, ce qui n’est pas son cas, car il était trop jeune alors et encore complètement inconnu. Il faut lire ce livre.

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Seul dans le noir (Man In The Dark) de Paul Auster
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Christine Le Boeuf,
Actes Sud, 192 p., 19,50 €.

Propos recueillis par Sandrine Bendavid (Alliancefr.com décembre 2008)

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