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Sandrine Ben David
6 décembre 2009

Par effraction

Par effraction, le dernier film d'Anthony Minghella, avec Juliette Binoche et Jude Law dans les rôles principaux, signe le retour du cinéaste maintes fois primé vers une intimité plutôt blessée.

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En Voyant le titre du film sur l'affiche, on pourrait s'imaginer qu'il s'agit d'une histoire de voyous et de hold-up. En fait, si Anthony Minghella s'attaque effectivement au thème de l'effraction dans Par effraction (Breaking and Entering), c'est pour mieux prouver que le criminel se cache bien à l'intérieur de chacun d'entre nous et que l'appartenance, des choses aux individus et des êtres à leur environnement, est une idée indéfiniment discutable.

Voler le coeur d'une femme est-il une action moins coupable que celle de cambrioler des bureaux d'architecture? Mentir pour sauver un enfant de la prison rend-il le mensonge moins malhonnête ?

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Le dernier film de Minghella pose ces questions parmi beaucoup d'autres et tente d'y répondre, à travers les histoires de deux couples mères enfants, que tout, a priori, sépare et qui pourtant sont étrangement parallèles, et celle d'un homme entre ces deux histoires, qui va devoir se déshabiller de .(:)n intégrité et se racheter en la fracturant.

Will Francis (Jude Law) est architecte. Il vit dans une belle maison d'un quartier chic de Londres avec sa concubine Liv (Robin Wright Penn) dont il partage l'existence depuis dix ans. Liv est la mère d'une fille de treize ans, Béa (Poppy Rogers), dont elle a quitté le père il y a longtemps, en même temps que la Suède dont elle est originaire.

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Béa est une enfant mentalement perturbée, présentant les symptômes hyperactifs, obsessionnels et angoissés des maladies psychologiques de l'enfance bourgeoise moderne. Après avoir consulté de nombreux spécialistes et en désespoir de cause, Liv a abandonné une carrière de cinéaste documentariste pour s'occuper de sa fille. Elle s'épuise progressivement et s'isole de tous en dévouant son existence à cette tâche.

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Will, qui voudrait l'aider et qui a surtout peur de la perdre, essaie vainement d'être le père et l'époux qu'il n'a jamais été. En désespoir de cause lui aussi de sauver son couple, il se détourne à son tour peu à peu de l'essentiel pour se jeter à corps perdu dans le projet de la reconstruction urbaine du quartier populaire de King's Cross et va même jusqu'à réinstaller, avec son associé Sandy Hoffman (Martin Freeman), les bureaux de leur compagnie Green Effect dans une ancienne fonderie, au coeur même de ce quartier mal famé.

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C'est là que vit, dans un logement social, Amira Simiesz (Juliette Binoche), une réfugiée bosniaque musulmane qui a fui, avec son fils Mirsad (Rafi Gavron) âgé de quinze ans, la guerre des Balkans, peu après la mort au combat de son époux serbe. Elle est serveuse dans un bar à loterie, la nuit, et reprise les vêtements des autres, le jour, pour subsister, en même temps qu'elle essaie d'élever convenablement un garçon sans père qui, lui, présente tout les signes extérieurs de la grande délinquance juvénile, l'autre maladie de la jeunesse urbaine moderne.

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Pour l'anecdote, les studios d'Anthony Minghella à Londres ont étés cambriolés treize fois en huit semaines, peu avant la conception de Par effraction. Il n'avait pas écrit de scénario pour lui-même ni réalisé aucun film non-historique depuis 1991, date de ses débuts cinématographiques avec Truly, Madly, Deeply.

Ce retour vers l'intimité et le contemporain semble être l'expression d'une confrontation personnelle avec l'autre et avec soi-même, dans toute l'ampleur de leur abominable proximité. Liv la riche dépressive et Amira la pauvre combative sont toutes les deux des mères dévouées, au-delà de toute chose, à leur progéniture.

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C'est un bel hommage que Minghella rend ici, à travers deux actrices exceptionnelles, à la femme et de la dévotion maternelle. La petite Béa, insomniaque et obsédée par ses toques, et le jeune Miro, agoraphobe et paranoïaque, sont tous les deux des gymnastes en herbe de grand talent, mais incurablement handicapés par la fracture familiale dont ils ont étés les principales victimes.

Certains critiques ont cru voir dans le parallélisme entre le couple Liv-Béa et celui de Amira-Mirsad un artifice improbable et dont le seul propos aurait été celui de permettre la confusion affective du personnage de Will. Très loin du risque de l'invraisemblance, ce rapprochement est l'expression d'une franche analyse de la monoparentalité, qui n'épargne hélas aujourd'hui aucune classe ni aucun milieu social, racial ou intellectuel de la société urbaine occidentale.

L'homme, face à la fusion inviolable de la mère et de l'enfant, s'il n'est pas mort ou absent, et surtout lorsqu’il n'est ni le mari ni le père, comme dans un nombre grandissant de couples modernes, est en situation d’échec élémentaire. Son assistance sera vécue comme une intrusion, sa non-intervention comme un crime.

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Au-délà d'une radiographie consciencieuse de la cité contemporaine occidentale et de son mal-être, Par effraction est un plaidoyer de l'homme moderne, d'une rare justesse, bouleversant et qui force une fois encore l'admiration pour l'un des grands cinéastes de notre temps.


Sandrine Bendavid (Jerusalem Post Edition Française, janvier 2007)

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