Le Sacrifice d'Isaac
La cuvée 2006 du
Festival international du film de Haïfa s'est achevée, samedi 14
octobre dernier, sur la double victoire d'un réalisateur israélien
totalement inconnu jusqu'à cette date du public et des critiques, David
Volach, dont la toute première réalisation
intitulée Houfchat Kaïtz ("Vacances d'été") a remporté le prix
"découverte Stella Artois" de la meilleure création
originale israélienne, d'une valeur de trente mille shekels, ainsi que le prix Jack Naylor
de la meilleure image, qui s'élève à 18 000
shekels, pour son caméraman Boaz Yaakov.
David Volach
est un jeune homme d'origine juive orthodoxe qui a grandi à Jérusalem et reçu son éducation
religieuse dans la célèbre Yechiva
lituanienne de Punjab, à Bnei Brak. S'il n'est plus ultraorthodoxe
aujourd'hui et vit et travaille au coeur de Tel-Aviv, son cameraman Boaz Yaakov
est un homme très religieux et Volach a longuement insisté, lors de la
remise de son prix, sur le caractère capital et
exemplaire de leur travail en commun.
Houfchat Kaïtz est le
titre tristement ironique d'une tragédie intime, métaphore
moderne de l’épreuve du sacrifice d'Isaac par Abraham, dont le cheminement investit la
souffrance du croyant, confronté à une cruelle
fatalité et au silence irrévocable de son créateur.
L'histoire
raconte les trois jours de préparation pour un voyage à la mer Morte
(seconde ironie du filrn) d'une petite famille religieuse orthodoxe de Jérusalem : le père (Assi
Dayan), enseignant dans l'une des Yechivot de Mea Shearim, la mère (Sharon
Hacohen Bar), femme au foyer soumise et dévouée, et leur
petit garçon Menahem (Ilan Grif) (encore un choix ironique, puisque "lenahem"
veut dire en hébreu "consoler", en particulier dans le cas d'un deuil). Le seul événement
dramatique de cette histoire est la noyade de Menahem dans la mer Morte où le trio
familial était censé prendre ses premières vacances, et le film tout entier est dévoué à l'exposition
du quotidien de cette famille ultrareligieuse, rythmé par les
rituels journaliers de la vie juive.
Le cinéaste israélien tente ici
de synthétiser sur sa pellicule la complexité et l'étrangeté, quasi archaïque dans notre
société israélienne moderne, du judaïsme orthodoxe. David Volach le fait avec Une
pudeur infiniment respectueuse de l'univers qui l'a vu naître et
grandir. Il dépeint l'épreuve suprême du deuil d'un enfant mort injustement, épreuve commune
à tant de familles israéliennes endeuillées par la
guerre et le terrorisme, sans tomber dans le piège habituel de
l'exagération mélodramatique, avec cette même pudeur (tsniout) qui est l'une des mesures
(midot) primordiales de l'homme juif et qui caractérise tout le
film.
La superbe caméra de Boaz
Yaakov, la très belle musique originale d'Aharon Kuntzman et le langage infiniment poétique de David
Volach font de 'Houfchat Kaïtz la meilleure réalisation présentée en compétition au dernier
festival de Haïfa, supérieure de bien loin aux cinq autres films qui lui faisaient concurrence. Ce
film aurait dû remporter le grand prix du festival.
Le président du jury
israélien, Dany (Noccio) Verte, et ses membres ont d’ailleurs publiquement
convenu de leur admiration unanime pour ce film et de leur dilemme, à l'occasion de
la cérémonie de remise des prix du festival et en outre lors de leurs dernières
interventions dans la presse israélienne. Noccio
a récemment déclaré qu'il aurait personnellement préféré 'Houfchat Kaïtz aux autres et
Serge Sobczynski, représentant du festival de Cannes en Israël et inclus au
jury cette année, a confié au Jerusalem Post édition française que tous
les membres avaient souhaité donner le premier prix ex-æquo à Houfchat Kaïtz et à Tnoua
Megouna, mais que cela leur avait été refusé. "Le fi1m
de David Volach étant un premier film", a-t-il expliqué, "c'est à lui que nous
avons donné le prix de la, découverte et à l'autre film
qu'est allé le grand prix".
Il est à regretter que
la direction du festival n'ait pas su suivre l'exemple de Cannes qui a attribué cette année certains de
ses prix à plusieurs artistes, décision tout à fait
honorable lorsqu'elle est justifiée. Houfchat
Kaitz devrait faire son apparition dans les salles israéliennes d'ici
quelques mois. Ce film, qui va sans aucun doute enthousiasmer le public juif
religieux comme l'avait fait le Oushpizin de Gidi Dar l'année dernière, séduira, néanmoins, tous
les publics amoureux de pure beauté cinématographique,
qu'ils soient pratiquants, ou pas.
Par Sandrine Ben David, 26 novembre 2006