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Sandrine Ben David
4 décembre 2009

Jean-Pierre Bacri s’adresse à Israël

Le « personnage » est pagnolesque, l’acteur, empathique et méticuleux. Le scénariste est truculent, le producteur inflexible. L’homme, enfin, impressionne depuis toujours par son intégrité, si rare dans les métiers du paraître. Jean-Pierre Bacri est l’un des derniers « monstres sacrés », s’il en est, du cinéma de l’hexagone. Sans chercher à déranger pour déranger, à l’opposé de nombre de discours délateurs, il ne s’est jamais trahi, n’a jamais caché le « tranchant » de ses opinions, ne s’est jamais évité d’être exposé à la critique, générant des réactions extrêmes, et souvent opposées. Pourtant, jusqu’à aujourd’hui, cet artiste ne s’était encore jamais exprimé sur son judaïsme et son rapport à Israël. Pour les lecteurs du Jérusalem Post, il a décidé de parler.

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Qui est Jean-Pierre Bacri ?

« Je suis engagé, je suis athée, je suis juif. Je suis juif, parce que je suis né juif et que je n’y peux rien. Mais je ne le porte pas pour autant comme un drapeau Je suis, donc, athée, ce qui m’épargne, d’emblée, un certains nombre de problèmes (rires), par rapport à mon identité. Je suis anti-communautarisme, mais, d’une force (on entend, dans sa voix, le Raimu de Pagnol) que vous n’imaginez pas. Je déteste que les institutions juives parlent en mon nom, et je déteste, lorsqu’en France, on parle, à tout bout de champ, de la « communauté juive » et du « peuple juif ». Je suis juif, c’est vrai, mais je ne suis pas le « peuple juif » ; Je ne pense pas comme lui, je ne suis pas comme lui. Je suis, d’abord, moi. Et, pour commencer, je suis citoyen. Du monde. De la France. De la France, parce que c’est mon pays, parce que c’est une langue que j’adore, dans laquelle je crée et j’écris. L’histoire que je connais bien, c’est celle de la France et pas celle d’Algérie, ni celle d’Israël. »

Que pense-t-il d’Israël ?

« Cela fait 25 ans que je ne suis plus retourné en Eretz. J’ai admiré ce pays. J’ai été totalement admiratif d’Israël jusqu’au septième jour de la guerre des six jours. J’avais seize ans, et j’étais « avec eux », comme on dit. C’était un pays jeune, qui n’acceptait pas qu’on le remette en cause, qui se défendait, qui a su qu’il allait être agressé de toutes parts et qui a réglé le problème de façon radicale, en rentrant « dans le salon des gens ». Vous savez, moi, si j’ai un problème de voisinage avec quelqu’un, et que ma survie en dépend, je ne me laisse pas faire. Je vais jusque dans son salon, et je lui casse la tête, à ce voisin. Je lui casse la tête dans son salon. C’est ce qu’Israël a fait. Et jusque là, je dis « Bravo ! ». Mais après, je sors de chez lui. Et je rentre chez moi. Tant qu’Israël ne fera pas ça, ils ne seront jamais forts. Ils seront toujours vulnérables. Lorsqu’Israël réintégrera les frontières de 1967, et respectera les Palestiniens, comme les Juifs ont envie d’être respectés, alors, je serai de nouveau « avec eux ». Ce peuple qui, depuis des millénaires, a acquis, pour son malheur, une telle culture de la persécution, ce peuple devrait être « imparable », et absolument parfait en ce qui concerne les autres. Nous ne devrions jamais mépriser, jamais humilier un autre peuple. On devrait être les premiers de la classe ! »

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Que souhaite-t-il pour l’avenir au Proche-Orient ?

« Je veux que le peuple palestinien ait un Etat. Je veux qu’ils rentrent dans leurs frontières. Et à ce moment là, on sera forts comme en 67. On pourra dire : « Voila votre Etat. Appelez-le comme vous voulez. Mais, maintenant, respectez-nous ! Sinon, on re-rentre dans votre salon ! ». » Je ne sais pas à quel point Benjamin Netanyahu peut surprendre, mais regardez Golda Meir. Elle était censée être de droite, non ? C’est Ariel Sharon qui a rendu Gaza. On a souvent de bonnes surprises avec les gens de droite. Ils sont tellement complexés par les reproches qu’on leur fait qu’ils se demandent à eux-mêmes toujours un peu plus. Et ils apportent parfois, contre toute attente, des solutions aux problèmes qu’on croyait insolubles. Moi, j’espère toujours. Et j’espère que je serai encore vivant pour voir ces deux pays cohabiter, sinon en paix, au moins normalement.

Que pense-t-il de la montée de l’antisémitisme en France ?

« D’où vient ce regain, sinon de l’arrogance des israéliens à vouloir rester dans le salon du voisin ? De l’antisémitisme en France ? Laissez-moi rigoler. Il n’y a pas d’antisémitisme en France. Il y a des pauvres, il y a des ghettos, des gens qui souffrent, qui sont à la rue, et parmi eux beaucoup d’immigrés, puisqu’ils font naturellement partie des moins considérés et des plus méprisés. Le gros problème, en France, aujourd’hui, ce n’est pas les « douze salopards » qui taguent une synagogue, ni le fou furieux qui a tué Ilan Halimi, parce qu’il pensait que tous les Juifs ont de l’argent. Des fous furieux, il y en a partout. On ne peut pas fonder, sur quelques fous, toute une panique de l’antisémitisme ! Je ne crois pas à tout ça. Je crois que Dieudonné, qui, de son vivant, a été un humoriste extraordinaire, et qui, depuis qu’il est mort, fait n’importe quoi, surfe sur cette phobie d’un antisémitisme montant, pour essayer, vainement, de se rendre populaire. Pour preuve, le score ridicule qu’il a fait aux européennes. »

Que pense-t-il de Benoît XVI ?

« Ce que le Pape a dit, en Israël, c’est bien. Pour le reste, les lefebvristes, le sida… Je pense que c’est mal. Mais je pense surtout qu’on donne trop d’importance aux chefs religieux, partout dans le monde. Ces gens-là sont fous. On ne devrait même pas les écouter… »

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Qu‘a-t-il envie de dire aux israéliens qui se battent pour la paix ?

« Continuez, s’il vous plait. Ne lâchez-pas l’affaire. »

Sandrine Bendavid (Jerusalem Post Edition Française, juin 2009)

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