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Sandrine Ben David
18 juin 2008

Kader Attia

KaderAttia

HUMAIN SANS FRONTIERE
par Sandrine Ben David

Au moyen de photographies, diaporamas, vidéos ou installations, Kader Attia, artiste contemporain pluridisciplinaire, traite les questions du déracinement, de l’identité, de la sexualité ou encore des rapports socio-économiques qui déterminent nos vies.

Ses œuvres sont autant d’études de cas sur des sujets tels que l’immigration, le luxe ou le religieux…Artiste parisien cosmopolite, il était en visite en Israël pour la préparation d’une exposition prévue pour janvier 2007 au musée d’art contemporain de Haïfa.

-              Que est l’objectif de cette visite en Israël ?

-              Parce que mon souhait était celui de créer une œuvre pour ce pays, j’y suis venu m’imprégner de ses paysages géographiques et culturels, de ses multiples ethnies et de sa riche spiritualité. Je viens de visiter le vieille ville de Jérusalem et les lieux saints des trois grandes religions. Il s’en dégage une force, une énergie unique, nourrie par la ferveur de ses pèlerins. Je ne m’inscris personnellement dans aucune foi en particulier mais j’ai beaucoup d’admiration pour le mysticisme de toutes les religions. J’ai découvert une immense poésie dans ce lieu. Ce n’est pas la première fois que j’y viens, mais j’ai rencontré lors de ce voyage un pays très vivant.

-              Qu’est-ce qui, à l’origine, vous a attiré vers cette région du monde ?

J’ai grandi à Sarcelles, dans une cité où ou musulmans et juifs vivent ensemble. Ma mère, originaire de Constantine, avait beaucoup d’amies juives et j’ai évolué dans une culture métissée. Je porte un prénom arabe, mon nom de famille est juif, et l’origine de cette double identité est une conversion dont on ne sait pas très bien dans quel sens elle a eu lieu. En octobre 2005, j’ai présenté une œuvre au musée des arts du judaïsme. Il s’agit d’une météorite de deux mètres de diamètre, incrustée de miroirs en formes de croissants de lune et d’étoiles de David. C’est une pièce très féerique, qui mélange ces symboles immémoriaux pour les rendre exemplaires. Elle se veut un message de raison et de paix. Mon art sert essentiellement à créer des ponts entre les hommes. Je sens une grande proximité avec la religion juive, mais c’est surtout la spiritualité grâce à laquelle l’artiste religieux  se surpasse que j’admire. Je retrouve d’ailleurs beaucoup de résonances entre la culture juive sépharade et la culture algérienne. Ce dialogue incessant entre les ethnies en Israël me fascine tout particulièrement. C’est une société riche, feuilletée, stratifiée à l’infini… Je déplore que les médias n’en  montre qu’un aspect monolithique. Elle représente un sujet d’investigation passionnant.

-              Vous êtes non seulement un individu mais aussi un artiste des mélanges. Pourquoi cette approche multiple de tous les médias de la création ?

On a la chance de vivre à une époque où, en dix heures d’avion, on peut passer d’un bout du monde à l’autre et où, en un clic de souris d’ordinateur, on peut avoir accès à toutes les cultures. Hélas, paradoxalement, notre société vit un retour terriblement dangereux vers le communautarisme. L’avenir de l’humanité se situe peut-être seulement dans le message initial de foi et d’amour et de don de soi-même, mais surtout pas dans le ghetto, qu’il soit religieux, sexuel ou autre. J’étais à Lubumbashi la semaine dernière, au fin fond de l’Afrique Noire, dans le Katanga. Je crois que pour vivre mieux, il faut arrêter d’avoir peur de l’autre et accepter le fait qu’à un moment donné, il puisse vous apporter quelque chose. Le problème souvent se complique parce que l’autre lui-même a peur de nous. Je crois qu’avant de vouloir changer le monde, il faut essayer de se changer soi. C’est  ma conviction personnelle et c’est pour cette raison que j’utilise dans mon travail toutes les différentes cultures et religions dans lesquelles j’ai baigné. De la même manière, je butine les différents médias. L’œuvre artistique se manifeste comme elle veut. Sans être génial dans toutes les techniques, je m’essaie à chacune selon mon propos. En ce moment, par exemple, je dessine beaucoup à l’encre de Chine, comme pour « Arabesque », pièce très graphique que j’ai réalisé pour l’exposition du Palais de Tokyo. Je vais présenter, la semaine prochaine à l’Armory Show de New York une série de quatorze dessins, vision allégorique des banlieues françaises où j’ai grandi, mélange de religieux Lubavitch et de femmes en « tchador » sur fond de barres d’immeubles à perte de vue, traité à l’encre de façon un peu « dure », comme un dessin d’enfant mal fait.

-              Vos travaux ont souvent défrayé la chronique. La transgression fait-elle partie intégrante de votre art?

-              Quelqu’un a dit : «  Quand on s’est fait connaître en choquant, c’est en ne choquant plus que l’on choque ». Je n’ai pas du tout envie de suivre la démarche qui consiste à anticiper les réactions et qui fait faire de l’art « rose bonbon » aux artistes, consensuels ou pas. J’essaie d’être sincère. Mon art est un divan de psychanalyste. Le passant que l’œuvre touche ne sait pas forcément pourquoi il ressent ce qu’il ressent, mais il entre, à travers son inconscient collectif, dans une méditation et dans une communication. S’il croit comprendre la chose que l’artiste veut lui dire, c’est parce qu’il l’a déjà vécue et qu’il l’a conservée en lui, comme une névrose que l’artiste libère au moment de la confrontation. La pièce de Lyon, « Flying rats », a effectivement beaucoup défrayé la chronique et c’est une bonne chose. L’intérêt d’une œuvre, c’est aussi qu’elle suscite le débat. L’art n’est pas fait pour rester dans les tiroirs. Certains extrémistes catholiques ont dit que j’avais appelé cette pièce « Flying rats » parce que, dans mon enfance je me faisait traiter de « deux fois rat », a cause de mon prénom arabe et de mon nom juif. Il arrive parfois que l’artiste devienne un fusible…

-              Vous êtes très attaché aux valeurs de la famille et vous l’exprimez souvent dans vos travaux. Votre vie d’artiste nomade est-elle en contradiction avec cette idée?

-              Nous partageons tous une histoire, une mémoire commune. Et elle peut être commune à condition qu’elle ne soit pas exclusivement sanctifiée. Je développe en ce moment une série de portraits de la communauté constantinoise, et j’ai dessiné entre autre, Jean-Luc Allouche, journaliste de Libération. Je lui avais demandé de choisir deux objets et de les apporter avec lui. Il a pris un éventail et la tabatière de son père. Cette tabatière, c’est un pont : les juifs ne fument pas le shabbat. Ils prisent du tabac à la synagogue. Quand j’ai parlé de cet objet à ma mère, elle s’est mise à pleurer en évoquant sa mémoire de Constantine et les différents personnages qui l’ont peuplée. Je retire parfois ma casquette d’artiste pour devenir une sorte d’ethnologue qui regarde les hommes et qui les rapproche par le détail.

Jerusalem Post édition française,
14 mars 2006.

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