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Sandrine Ben David
5 décembre 2009

L’ancienne prison de Jean Moulin, nouveau lieu de mémoire en France

La prison de Montluc ouvre au public cet automne. Elle a été inscrite, le 25 juin dernier, au titre des monuments historiques, et les travaux de réhabilitation ont débuté en juin 2009 à Lyon. C’est ici que furent incarcérés Jean Moulin, le Maréchal de Lattre de Tassigny, l’historien Marc Bloch, l’avionneur Marcel Dassault, les enfants d’Izieu, mais aussi des anonymes, déportés, résistants ou victimes des persécutions raciales, avant leur départ pour les camps. Plus de 7700 juifs, résistants et otages, ont été détenus à Montluc entre 1942 et 1944, pour la plupart torturés par la Gestapo de Klaus Barbie, déportés ou fusillés. Montluc est un lieu emblématique qui transcende. C’est le lieu de toutes les victimes nazies. En février 2009, la désaffectation de la prison, laissée dans un état de quasi abandon depuis plus de 60 ans, a été l’occasion de lancer une réflexion et un projet sur son devenir. C'est la raison pour laquelle Jacques Gérault, préfet du Rhône, a estimé indispensable non seulement de la protéger, mais aussi d'y développer un projet de lieu de mémoire.

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Après avoir réuni les administrations et services compétents (Justice, Anciens Combattants, Université de Lyon III), Jacques Gérault a pris les mesures suivantes :

- les bâtiments présentant un intérêt historique, c'est-à-dire la porte d’entrée, la conciergerie, le « mur des fusillés » et la plus grande partie du mur d’enceinte, le quartier des femmes et celui des hommes seront inscrits à l'inventaire des Monuments historiques et protégés à ce titre.

- le Préfet a proposé à Jean-Olivier Viout, procureur général près de la cour d’Appel de Lyon de définir  un projet d'aménagement en liaison avec les associations concernées.

- l'Université de Lyon III, pour quatre millions d'euros, va racheter le terrain restant et les bâtiments qui ne sont pas concernés par la procédure de classement. Elle assurera la gestion et le gardiennage de l'ensemble des locaux, tout en lançant, sur la partie non protégée de la prison, un programme de construction de locaux qui seront destinés à la formation professionnelle et à la formation continue, à ses services administratifs et à des logements pour étudiants. L’accès à ces nouveaux locaux sera indépendant et situé rue du Dauphiné, la prison proprement dite conservant son entrée historique, rue Jeanne-Hachette.

- le Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation a été sollicité pour organiser l’accueil du public, les visites et l’animation des lieux.

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Le projet ne prévoit pas un musée mais un lieu de mémoire sobre, un lieu de silence et de recueillement. Le préfet Jacques Gérault ne veut surtout pas voir l'endroit dénaturé, ni devenir l'objet d'une quelconque mise en scène. Dans chaque cellule, il y aura deux panneaux : un visage et le parcours de vie d’un détenu qui livrera son passé. L’Etat, qui demeure propriétaire de Montluc, a versé 150 000 euros afin de financer la mise en sécurité des lieux et la rénovation de la verrière. Le bâtiment de détention, le chemin de ronde ainsi que trois murs d’enceinte seront conservés. Le reste sera détruit et l’université Lyon-III y construira de nouveaux bâtiments d’enseignement.

Cette préservation, Montluc la doit, bien sûr, au rôle que cette ancienne prison militaire construite au début des années 1920 a joué pendant l'Occupation. Construite dans les années 1920, la prison militaire est située en face du fort du même nom, dans un quartier industriel de Lyon. Après l’armistice de 1940, la prison a accueilli quelques droits communs, des militaires et des auteurs de « menées antinationales ». Après l’invasion de la zone sud, en novembre 1942, les Allemands réquisitionnèrent cette prison et la placèrent sous leur contrôle exclusif. Montluc a servi à interner des résistants, des otages, mais aussi des Juifs victimes des mesures raciales, en attente de leur départ vers Drancy. De 1942 au 24 août 1944, date de la libération de la prison, 7731 hommes, femmes, et 237 enfants, y ont été internés. 622 ont été fusillés, 2565 ont été déportés, environ 800 ont pu être libérés. La prison se remplissait au fil des rafles. En 1943, elle abritait 90 détenus, 900 en mai 1944, et 1000 en juillet. Une plaque commémorative indique que 10 000 personnes ont été emprisonnées dans ces murs, 7000 n'en sont jamais ressortis. Le sort de 2440 détenus parmi tous n’a, jusqu’à ce jour, pas encore été établi. Montluc fonctionnait en liaison directe avec la Gestapo de Lyon, où avaient lieu les interrogatoires, et dont les locaux hébergent, aujourd’hui, le Centre d’histoire de la résistance et de la déportation. A proximité de la prison, les Allemands avaient installé, durant l’été 1943, un tribunal militaire complémentaire pour la zone sud. Les condamnations capitales prononcées étaient exécutées sur le stand de tir de la Doua, aujourd’hui nécropole nationale. Après le débarquement de juin 1944, de nombreux massacres de détenus de Montluc ont été perpétrés dans les communes entourant Lyon, en représailles à l’avance alliée et aux actions de la Résistance. Entre avril et août 1944, plus de six cents prisonniers ont été ainsi massacrés à Saint-Didier de Formans, Toussieu, Bron, Saint-Genis-Laval, Pont-de-Dorieux pour ne citer que les principaux lieux d’exactions. Le 24 août 1944, les prisonniers de Montluc ont été libérés, à la fois par l’intervention de la Résistance et par le départ des geôliers. La ville de Lyon a été libérée le 3 septembre 1944.

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« La prison de Montluc est unique en France, elle est le symbole de la barbarie allemande, des crimes contre l'humanité, elle appartient à la mémoire collective. C'est un lieu de mémoire qui arrête le temps et porte l'histoire » a expliqué le procureur Viout, rappelant que le « boucher de Lyon » Klaus Barbie, chef de la Gestapo lyonnaise, avait, sur ordre du garde des Sceaux de l'époque, Robert Badinter, été « logé » à Montluc, en 1983, pendant son procès. La volonté de rester dans l'emprise mémoriale est clairement affichée dans ce projet de réouverture. « Si le budget était dépassé, je m'engage à trouvé les fonds » a affirmé le Préfet Jacques Gérault. « Les traces passées permettront de connaitre les modes de répressions à Lyon durant la seconde Guerre Mondiale ainsi que les conditions de détention » a ajouté Isabelle Rivé, directrice en charge du projet concernant le CHRD, à l’annonce de sa participation au programme.

Très ému lors du lancement des travaux de rénovation, Georges Tassani, arrêté à 18 ans en mars 1944 parce qu'il fabriquait de fausses cartes d'identité, a salué cet « hommage formidable rendu à tous ceux qui sont morts ici ». Président de l'association des rescapés de Montluc, le vieil homme a milité durant des années pour que la prison soit ouverte au public. Les conditions de vie y étaient tellement indignes qu'il raconte « avoir été très heureux lorsqu'on lui a annoncé qu'il partait en train pour l'Allemagne ».Georges Tassani, enfermé dans la cellule 124 avant son transfert dans divers camps de concentration allemands, est l'un des derniers survivants de cette période, durant laquelle tant de déportés sont passés par Montluc.

La maison du docteur Dugoujeon à Caluire,où Jean Moulin fut arrêté, va devenir quant à elle un Mémorial Jean Moulin, dont l'ouverture au public est prévue au premier semestre 2011. Le conseil général du Rhône va financer la transformation du lieu en musée relatant l'arrestation du résistant gaulliste, le 21 juin 1943, par la Gestapo lyonnaise, dont la photo figurera symboliquement en bout de parcours de la visite de Montluc.

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Jean Moulin :

Jean Moulin est né en 1899 à Béziers. Licencié en droit, il entre en 1921 à la préfecture de l’Hérault comme chef adjoint du cabinet. En 1925, plus jeune sous-préfet de France,  il devient en février 1939 préfet d’Eure-et-Loir. Il se porte volontaire pour combattre en septembre 1939 mais est rappelé par son ministre à son poste de préfet en décembre de la même année. Son comportement est exemplaire au moment de l’invasion allemande : il refuse en particulier de signer un document accusant injustement un régiment de tirailleurs sénégalais d’avoir massacré des populations civiles. Révoqué par Vichy, Jean Moulin gagne Londres en octobre 1941 et se met au service du Général de Gaulle. Sa mission est d’unir la Résistance sous l’autorité du Général. Arrêté à Caluire le 21 juin 1943, Jean Moulin est interné à la prison de Montluc et interrogé dans les locaux de la Gestapo, avenue Berthelot. Raymond Aubrac et André Lassagne  (Libération-sud), Henry Aubry (Combat), le colonel Scwartzfeld (France d’abord), le colonel Lacaze, Bruno Larat et Frédéric Dugoujon sont arrêtés à Caluire et internés avec Jean Moulin à Montluc.

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Klaus Barbie :

Né à Bad Godesberg en 1913, Nikolhaus « Klaus » Barbie adhère aux Jeunesses hitlériennes (Hitlerjugend) en 1933. En 1935, il devient membre de la sécurité de la S.D et signe son engagement dans la S.S. Le 29 mai 1940, Klaus Barbie est promu sous-lieutenant et arrive en Hollande, où il est chargé de la chasse aux Juifs, Tsiganes et Francs-maçons. En juin 1942, il est promu lieutenant et commence à diriger la section IV de la Gestapo de Lyon. Le 9 février 1943, Il dirige la rafle des locaux de l’UGIF rue Sainte Catherine à Lyon, où 84 personnes sont arrêtées et déportées. Le6 avril 1944, Il dirige la rafle d’Izieu, où 44 enfants et 7 adultes sont arrêtés et déportés. Le 11 août 1944, Klaus Barbie fait partir un ultime convoi pour Auschwitz. Le bilan des crimes en France de Klaus Barbie est de 4 342 meurtres, 7 581 juifs déportés, 14 311 résistants arrêtés et torturés. Lorsque l’armée allemande quitte Lyon en Septembre 1944, Barbie prend la fuite, il entame une nouvelle vie sous une fausse identité. En 1952 et 1954 il est jugé par contumace et condamné à mort, pour « crime de guerre » par le tribunal des forces armées de Lyon. Barbie est arrêté pour non-paiement d’une amende pour fraude-fiscale, le 25 janvier 1983. Il est extradé par l’armée Bolivienne sur le territoire français de Guyane, l’armée française prend le relais, il atterrit à la base militaire d’Orange puis est transféré à Lyon. Le 5 février 1983, Klaus Altmann qui désormais reconnaît avoir été « Klaus Barbie en temps de guerre » est interné à la prison de Montluc. Au terme de quatre années d’instruction, le 11 mai 1987, le procès Barbie commence à Lyon. Il se conclut le 4 juillet 1987 par sa condamnation à la prison à perpétuité.

Sandrine Ben David (Jerusalem Post Edition Française,octobre 2009)

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